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Le début de la fin

On est entré en Thaïlande très facilement, au petit matin, par un poste frontière isolé où le mot d'ordre était: "Good guys in, Bad guys out". Donc si on nous a laissé passer, c'est bon signe! Le garde-frontière nous fait de petites blagues et nous ressentons bien vite la culture de l'accueil qui fait la réputation du pays. Deux touristes à vélo aussi près de la frontière viennent forcément d'arriver. Les gens sourient, presqu'autant qu'au Cambodge, nous souhaitent la bienvenue dans leur pays, nous encouragent et nous offrent à manger quand on leur commande à boire... On va être bien en Thaïlande.

Sa Majesté le Roi, dont les photos sous toutes les coutures sont omniprésentes, a initié une politique de développement du vélo et ça se ressent. On croise plusieurs Thaïs à vélo, couverts de la tête aux pieds pour éviter le soleil, on dirait le déguisement de l'homme invisible avec cagoule et lunettes malgré les 40 degrés. Ça ne nous était pas arrivé depuis la Chine (et encore!) de croiser des locaux en mode cycliste, c'est chouette. Comme partout depuis le début de ce voyage (et après avoir discuté avec nombre de cyclistes, comme partout sur terre) loin des villes et des "poumons économiques", la vie semble plus simple, plus dure aussi. Et malgré la différence culturelle, les gens nous sourient, s'intéressent à nous et, quand ils ne comprennent plus, éclatent de rire.



En quelques étapes à travers les bambouseraies, réserves pour éléphants et autres champs d'ananas succulents, nous arrivons dans la périphérie de Bangkok. Et, doucement, les choses se gâtent. Nous ne voulons pas entrer dans la capitale que nous visiterons avant de partir et passons au sud, entre la ville qui s'étend sans fin et la mer. En plus d'être une mégalopole très étendue, la capitale est construite sur d'anciens marécages, on n'a pas beaucoup de choix en termes d'itinéraire. Bruit, grosses routes, odeurs nauséabondes, circulation intense et dangereuse... Rien d'agréable. Pour ajouter à cela, Kris ne va toujours pas bien depuis la poussée de fièvre d'il y a bientôt 15 jours.

Quand la route est pourrie, on fait de grosses étapes! Après une petite centaine de kilomètres, et alors qu'on pense bientôt échapper aux tentacules de Bangkok, nous prenons un traversier pour passer le fleuve et éviter l'immense autoroute aérienne. Un Thaï nous aborde, nous fait comprendre qu'il est cycliste aussi et quand on lui demande s'il y a un hôtel dans le coin, il nous dit de suivre son scooter... Et nous voilà embarqués à le suivre tant bien que mal durant 10km supplémentaires dans la mauvaise direction : on retourne vers Bangkok! Finalement on comprend que l'on s'est mal fait comprendre ou qu'il nous a mal jaugé, car Il nous emmène dans un hôtel super chic... Comme il fait nuit, on prend la chambre (plutôt le bungalow), on profite d'un peu de luxe, de notre première clim´ (bin c'est pas si bien), des méandres verdoyants de ce ´Poumon vert de Bangkok´ et on s'amuse du chien de l'hôtel...


Les étapes suivantes sont à oublier. La seule raison qui nous pousse à faire ces kilomètres c'est que nous tenons à les faire à vélo. Le moins de transport mécanique possible. Mais entre les salines qui s'étendent à n'en plus finir, les portions d'autoroute et les morceaux de plage pourris par les resorts qui se multiplient, on ne s'amuse pas énormément.

Il faut retenir tout de même deux choses : dans les ruisseaux le long des rues nous avons croisé un alligator et plusieurs varans de plus d'un mètre de long... On a beau être sur nos bécanes, on fait pas les malins. C'est juste que quand un gros truc plein d'écailles se met à courir à notre approche, ce n'est pas rassurant. Et un soir où nous avions trouvé à dormir dans un marais asséché, une dame nous voit alors qu'elle nourrit les chiens errants qui traînent ici (ils sont légions en Thaïlande, souvent nourris par les habitants, et plutôt craintifs). Elle revient quelques heures plus tard pour nous offrir un régime de bananes, de l'eau, de la crème anti-moustique, du baume pour soulager les piqûres, le tout en nous indiquant le numéro des urgences! Ce genre de gestes, aussi spontanés que généreux, nous reboostent le moral. Le voyage, c'est aussi l'apprentissage de la générosité. Et depuis le Cambodge on est à bonne école. Jusque Hua Hin, sur la côte, Kris se traîne comme il peut. Une copine cycliste qui nous précède nous a assurés qu'à partir de cette ville, c'en serait fini des grosses routes et resorts à la pelle... Tiraillé entre la motivation d'arriver dans des lieux plus accueillants et les douleurs intestinales doublés d'une grosse fatigue, il tient bon. Nous finirons tout de même à l'hôpital de Hua Hin, un peu trop inquiets pour s'en tenir à l'automédication. Au vu de la facture qu'on nous présente pour dire "reposez-vous monsieur", nous regrettons l'hôtel chic (pour nous!) au Sud de Bangkok et dans lequel nous aurions pu nous reposer longtemps pour le même prix... Au moins ce n'est pas une grosse maladie que l'on nous annonce. Le voyage continue mais à moindre allure. Comme annoncé, après Hua Hin, les paysages s'améliorent fortement et nous campons sur quelques bons spots de plage déserte rien que pour nous. Nous essuyons aussi un passage pluvieux de trois jours. Le premier jour, nous roulons sous la pluie, trop contents d'avoir un peu de fraîcheur et une douche gratuite aussi. Bon, mais après l'euphorie, on constate que la pluie tropicale ça cogne fort! Nous passerons quasiment l'entièreté du second jour dans un resto avec un couple de cyclistes suisses rencontrés par chance entre 2 averses. Après un itinéraire similaire au nôtre, ils entament le retour par la Route de la Soie... Ca nous fait rêver!

En attendant, nous ne ferons que 12km ce jour là. Le dernier jour de pluie on joue à cache-cache avec les gros nuages. Mais après tout, qu'importe si l'on est un peu mouillé, il fait toujours 30 degrés. Et dire que de l'Europe à la Chine, la pluie était une vraie plaie! Nous faisons nos dernières étapes de plages de sable blanc en plages aux eaux turquoise sous un soleil redevenu ardent. La côte est ravissante, parsemée de monts calcaires qui offrent de superbes vues à l'occasion. Nous traversons des exploitations de cocotiers, une plage militaire parfaitement entretenue (par des détenus!) et chaque fois qu'il y a un endroit sympa comme une belle baie ou un mont au bord la mer, on peut compter sur les moines pour y avoir mis un temple!



Depuis la Sibérie, nous avons commencé à croiser des lieux bouddhistes. D'autre religions aussi mais celle-ci nous a marqué, surtout en arrivant en Asie du Sud-Est. Au Laos notamment, nous avons découvert que chaque homme sera un jour dans sa vie moine, pour quelques jours, pour quelques mois ou pour toute la vie. Cela donne une toute autre place à la religion. On croise aussi souvent le matin des moines pieds nus, déambulant dans la rue pour bénir les habitants qui leurs font l’aumône. Sans parler des prières et battements de tambour que l'on entend dès 4h du matin lorsqu'on dort près d'un complexe bouddhiste... La religion est omniprésente. Dans la vie quotidienne mais aussi physiquement avec des temples plus majestueux les uns que les autres. Un peu comme les églises en Europe que l'on ne voit plus, ou toutes les églises orthodoxes dont on découvrait l'architecture en approchant la Russie. Mais ici, les temples omniprésents et gigantesques sont tous habités, entretenus et on y voit souvent des gens y entrer pour prier. Comme ils sont souvent dans de très beaux lieux, parfois, on leur demande d'y dormir, et à part les prières très matinales, on est vraiment tranquilles.



Nous croisons pas mal de cyclistes sur cette portion de la Thaïlande. Elle vaut le coût ceci dit. En dehors des groupes de cyclos du dimanche, on croise des Suisses donc, un couple de Hollandais retraités, un Américain (sûrement mais il n'a pas fait montre de vouloir s'arrêter en fait) et pour finir, un Allemand. Ce dernier est une espèce d'ovni. Cycliste semi-professionnel, il passe l'année à faire des compétitions comme le tour du Qatar, du Burkina Faso, des course en Chine, etc. Et comme il avait des vacances, il s'est fait son tour de l'Asie. 6 semaines, 200 à 250km par étape, 30km/h de moyenne... Ok il n'a que deux sacoches, mais tout de même! À ce rythme-là il nous aurait fallu trois mois à peine pour faire ce que l'on a fait.


Et, enfin, arrive Chumphon!

Nous rêvions d'un nom connu pour terminer, comme Phuket, Bangkok ou Kuala Lumpur... eh bien non. Chumphon ça sera bien! C'est ici que nous prenons le bateau de nuit (vraiment pas facile à trouver le bateau de nuit!), c'est ici que s'arrêtent nos étapes de vélo, que nous arrêtons de compter les kilomètres parcourus, que nous arrêtons de ne pas savoir où nous dormirons demain. C'est plus ou moins ici que s'arrête le voyage. Presque l'air de rien, sur un quai de ferry de nuit, limite en urgence car nous sommes en retard pour l'embarquement (après avoir fait 35 bornes de nuit à chercher le quai!). Nous partons pour Koh Tao, "l'île de la tortue" dédiée à la plongée sous-marine où nous avons décidé de passer quelques vacances pour décompresser de tous ce stress engendré par le voyage (huhu)...


Nous nous sommes ménagé un petit sas de décompression pour se faire à l'idée de revenir à ce que l'on nomme "une vie normale" en y ajoutant tout ce que ce voyage nous aura apporté.

"Une vie normale"... Comme ces mots sont vides de sens à présent. En dix mois, nous avons vu, croisé, fréquenté tellement de modes de vie et de penser différents. En dix mois il s'est passé tellement de choses absurdes à nos yeux dans notre pays et ailleurs que nous avons l'amère impression que les choses vont de plus en plus à l'envers dans notre monde. Non, vraiment, revenir à la "normalité" ne sonne pas juste à nos oreilles. Nous en avions la sensation en partant, c'est à présent une certitude : il va falloir nous réinventer. Et quel meilleur endroit pour se poser toutes ces questions existentielles qu'une petite île paradisiaque entourée de coraux?


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